Interview de Rich Lambert et CJ Grebb, directeurs créatif et artistique de TESO: Necrom
À l'occasion d’un événement presse présentant le prochain Chapitre de TESO : Necrom, nous avons eu la chance d'interviewer Rich Lambert, directeur créatif du jeu, et CJ Grebb, directeur artistique.
Apprenez-en plus sur le processus créatif et artistique à l’œuvre dans la conception du prochain Chapitre de The Elder Scrolls Online: Necrom, mais aussi sur l’avenir du jeu, la nouvelle classe, ou encore les défis et les opportunités technologiques que connaît le MMORPG. À l’occasion d’un événement presse, Nakalololo a pu rencontrer Rich Lambert, directeur créatif, et CJ Grebb, directeur artistique, afin de parler de la création du contenu de cette année et de ce qui nous attend dans celles à venir.
JOL : Pourriez-vous nous expliquer ce qui a motivé le nouveau calendrier de contenu avec seulement une nouvelle zone ajoutée au jeu cette année à la place des deux habituelles, avec un focus sur la création de nouveau système de jeu et la résolution de problèmes ? Est-ce que cette nouvelle formule s’appliquera également pour les prochaines années ?
Rich Lambert : Sur ce point, on verra au moment venu. La communauté demande ceci depuis longtemps, donc on va voir ce que les gens en pensent. C’est définitivement quelque chose que nous faisons en réponse à la communauté. On verra comment ça évolue, mais on a déjà une grande quantité de résolution de bug prévue, de polish et d’amélioration pour la qualité de vie pour la seconde partie de l’année, aussi bien que de nouveaux systèmes excitants. Et par rapport à ce qui a motivé ça de manière générale, je dirais que nous voulions essayer de faire quelque chose de différent. Les histoires se développant sur toute l’année ont vraiment bien fonctionné pour nous, et elles ont aidé à rallier l’équipe autour de grands thèmes autours desquels les quatre prochaines mises à jour seront liées. Pour le groupe de CJ [Grebb, Directeur artistique], cela permet de commencer une année à l’avance, parce que c’est le temps que prend la création des concepts arts. C’est donc plus facile de se mettre à travailler autour de ça. Mais c’était également restrictif, parce que nous ne pouvions pas développer d’énormes histoires puisque nous n’avions qu’une année pour les raconter. Et maintenant, nous avons l’opportunité de changer cela.
JOL : Alors vous prévoyez de raconter une grande histoire qui prendra plusieurs années à se dérouler ?
Rich Lambert : C’est possible, oui. <sourire>
JOL : Avec Necrom, et particulièrement la ville de Necrom, on peut reconnaître des inspirations qui semblent provenir d’un mod pour The Elder Scrolls III fait par Tamriel Rebuilt. Est-ce important pour vous de prendre en compte ce qui a été créé par le passé par la communauté, même si ce n’est pas du contenu officiel ?
Rich Lambert : Nous aimons regarder tout cela, mais nous aimons tirer davantage parti du jeu.
CJ Grebb : L’influence principale pour Necrom, c’est définitivement regarder à l’architecture dunmer, et essayer d’en tirer certaines formes et influences. Et ensuite, l’influence principale sur les bâtiments – et c’est peut-être une inspiration commune, on n’a pas le monopole des idées – c’était de leur donner une apparence monumentale. Des images de pierres tombales, des images de monuments en formes de voûtes, c’est vraiment la direction qu’on a prise. Nous voulions garder certaines formes. Et nous savions que nous avions certains prérequis, parce que nous savions que selon la légende, nous avions de grands murs blancs, de grandes tours, ces sortes de pierres en forme de côtes environnant la ville – et peut-être qu'elles sont vraiment des côtes, peut-être pas… Donc tout cela n’a pas été pris d’anciens mods, mais bien sûr nous ne sommes pas les premiers à représenter l’endroit. En termes de visuels, les modders créent d’excellentes choses depuis vingt ans, donc il y a beaucoup de choses à voir de ce côté-là.
JOL : C’est la première fois depuis TES I: Arena que Necrom et la péninsule Telvanni sont représentés dans un jeu. Comment en faites-vous quelque chose de différent de ce qui a été fait pour Vvardenfell dans le Chapitre Morrowind ?
CJ Grebb : On joue à un jeu amusant quand nous touchons à la nostalgie des Elder Scrolls, parce que nous nous considérons comme des sortes de bergers de la licence. Et il est donc très important que nous honorions les jeux qui nous ont précédés et lorsque les gens reviennent en particulier dans une région où ils ont déjà joué – et dans laquelle ils reviendront jouer dans The Elder Scrolls Online – nous voulons leur donner l'impression qu'ils rentrent chez eux. Et nous voulons y ajouter notre propre touche, mais pas au point qu’ils se disent, eh bien, ce n'est pas ce dont je me souviens. Parce que j'ai adoré jouer à Morrowind, je veux y retourner et le voir dans un moteur plus moderne, et le voir plus pleinement réalisé. Nous devons donc jouer avec cela et nous nous efforçons de faire en sorte que ceci soit honoré. Ensuite, il y a l’autre face de la pièce : nous voulons leur donner quelque chose de nouveau, n'est-ce pas ? Nous ne voulons tout simplement pas recréer à l’identique sans aucune sorte de créativité, ce qui existait avant. Mais les gens dans les équipes au studio sont toujours assez gentils pour nous donner quelque chose à nous mettre sous la dent, que ce soit pour les zones, et ici particulièrement pour Necrom, parce que c'était une toute nouvelle ville dans le jeu, un ville ancienne d'importance majeure pour les Dunmer. Et puis ils nous ont aussi donné Apocrypha, et c’était un peu comme si c'était le moment où nous pouvions nous lâcher et plonger dans l'horreur cosmique, Cthulhu, et tout ça. Il y avait donc beaucoup d'opportunités pour faire preuve de créativité, en plus de s'assurer que nous jouions avec la nostalgie.
Rich Lambert : Je pense que l’autre aspect c’est aussi de trouver un élément qui est familier. Pour Morrowind, ce sont les champignons, n’est-ce pas ? C’est un peu le principal élément qui donne ce côté aliène un peu fou. Dans cette péninsule, il y a un peu d’activité volcanique, mais ce n’est pas tout, il y a aussi des endroits verdoyants remplis de couleurs vibrantes. C’est bien plus vert dans ces endroits que ce à quoi vous pourriez vous attendre. Mais tout cela a toujours l’air familier grâce aux champignons.
JOL : Est-ce que vous vous êtes sentis plus libres en travaillant sur ce Chapitre? Parce qu’avec Vvardenfell, vous avez un canva, une référence. Ici, vous n’en avez pas si on exclut TES I: Arena.
Rich Lambert : Je pense que c’est un défi dans les deux cas. Lorsqu’on connaît ce qui nous se trouve dans une zone, les joueurs ont certaines attentes. Le défi est alors de savoir comment représenter cette région mille ans dans le passé – puisque c’est plus ou moins là où se situe notre temporalité – quand il n’y a pas beaucoup d'informations à ce sujet. Le défi est alors de ne pas se planter, ne pas faire quelque chose qui ne fait pas sens, ou que sais-je. Ce sont donc différents types de défis. Les deux sont épanouissants à part égale. Je pense que si nous ne pouvions en faire qu’un seul, ce serait un peu lassant. Mais puisqu’on peut les combiner, cela reste un exutoire créatif, et cela reste stimulant. Comme l’a dit CJ, nous essayons toujours d’apporter un nouveau regard sur notre objet, avec les différents biomes. On a un bon exemple avec la version solo de Skyrim, et notre version.
JOL : Une des grandes nouveautés de ce Chapitre, c’est la nouvelle classe. Qu’est-ce que vous avez souhaité apporter dans le jeu avec cette classe, en termes de gameplay, de nouvelles sensations de jeu ?
Rich Lambert : Fondamentalement : une nouvelle manière de jouer au jeu. Une nouvelle expérience du combat. Et je pense qu’en entrant dans la classe et ces différentes compétences, en voyant comment fonctionne les crux – le nouveau système de points de combo – vous vous retrouverez à constamment penser au bon moment pour dépenser vos points, est-ce qu’il faut utiliser cette compétence maintenant ou attendre et plutôt en utiliser une autre. Cela change la donne. Et pour certaines compétences, nous avons consciemment décidé – je ne dirais pas de les ralentir parce que ça a une connotation négative – de faire en sorte que ces compétences prennent un peu plus de temps pour que les capacités canalisées dans un second temps augmentent et fassent de gros dégâts où aient des effets intéressants. Et ça, c’est une toute nouvelle manière de jouer, parce que dans le gameplay de TESO, les joueurs se concentraient surtout sur la rapidité avec laquelle ils pouvaient exécuter leur rotation. Cette classe a un feeling différent.
JOL : Donc, il n’y aura pas nécessairement de rotations avec cette classe ?
Rich Lambert : Je suis sûr que les joueurs vont en trouver. Mais ce n’est pas l’intention. Et les crux vont vraiment dans ce sens.
JOL : Comment arrivez-vous à garder le mystère d'un lieu comme Apocrypha, permettant dans le même temps aux joueurs de tout explorer? Dans Skyrim, nous n’en voyons qu’une petite partie. Ici, nous en voyons plus.
CJ Grebb : Ça nous a aidé quand nous avons su où nous allions, que les équipes de contenu et les écrivains nous l’ont dit. En général, ils nous donnent une ou deux phrases pour nous dire : voilà de quoi il s’agit vraiment. Cette année, c’est l’horreur cosmique. Et pour moi, il s’agissait aussi de ce Prince daedra qui a déjà cette espèce de tradition venant de Cthulhu, cette tradition inspirée des créatures de Cthulhu. Nous avions donc ces deux aspects à partir desquels commencer à travailler. Et il fallait alors revenir au DLC de Skyrim Dragonborn, où nous avons vu Apocrypha pour la première fois, la parcourir et se dire “voilà ce dont les gens se souviennent”. Nous voulons que nos joueurs se disent “Je me souviens de ça ! J’ai l’impression que à ça que j’avais joué à l’époque.”. Mais nous avons aussi l’incroyable opportunité d’en faire plus en termes de terrain. Parce que dans le DLC, on est plutôt sur des sortes de plateformes. Et nous étions limités parce qu’Apocrypha c’était ça : des plateformes et un peu d’eau. Rien ne nous disait que c’était tout, qu’il n’y avait pas une île ou des terres par là-bas. Et alors, à quoi cela pourrait ressembler ? On plonge donc dans ce qui est pour moi le cœur du thème : l’accumulation de connaissances, l’archivage de tout ce qui a jamais été, ou que ce soit. Et alors les métaphores commencent à se former pour les artistes comme le fait peut-être cet archivage est fait par les fossiles, que c’est la façon naturelle dont les choses sont archivées. Cette idée nous a fait débuter avec les fossiles et ensuite ça a été un effet boule de neige pour arriver à cette apparence cool. Est-ce que ça a un aspect cosmique, aliène ? C’était une grande partie des caractéristiques visuelles de Morrowind. Parce qu’en plus d’un nouveau lieu, Apocrypha, nous retournons en Morrowind, et c’était justement cet aspect qui faisait Morrowind. Visuellement, l’attrait du jeu c’était qu’il ne s’agissait pas juste “d’un autre RPG”. Vous étiez sur une terre aliène. Et nous voulions être sûr que nous faisions honneur à ceci.
JOL : Comment choisissez-vous les grands thèmes des Chapitres ? Est-ce que vous essayez d’alterner par exemple entre des Chapitres plus sombres et d’autres plus lumineux comme High Isle ?
Rich Lambert : C’est exactement ce que nous essayons de faire. On regarde toujours en arrière avant de planifier le futur, surtout ce qu’on vient de faire, quels étaient les thèmes associés. High Isle était très lumineux et aéré et avait une histoire politique plus ancrée qui se concentrait sur une culture unique qui n'avait pas vraiment beaucoup eu l’occasion de briller dans le jeu de base ou dans n'importe quel jeu. Et donc pour cette histoire, nous avons en quelque sorte regardé certaines des autres histoires que nous avons faites dans le passé. Et nous nous disons, d'accord, c'est une opportunité d'aller plus loin et de devenir un peu fou. Nous avons donc choisi Mora, et à partir de là, nous nous sommes demandé ce qui fait la particularité d'Hermaeus Mora : les secrets, la connaissance, les histoires… Quel genre de secret pouvons-nous avoir ?... Et c'est parti de là et je pense qu'une fois que nous avons établi Mora et décidé de cette ambiance d'horreur cosmique, tout le reste a commencé à se mettre en place : la classe s'est mise en place, au moins sur les visuels, les thèmes et les éléments. Alors oui, nous regardons définitivement en arrière avant de continuer.
JOL : Et avec une cité comme Necrom, vous auriez pu aller complètement dans une direction très sombre, puisque c’est la cité des morts. Vous auriez pu mettre des squelettes et des crânes partout. Comment tempérez-vous et pondérer-vous cela pour avoir quelque chose de plus terre-à-terre ?
CJ Grebb : Le lore était plutôt très clair sur certains des aspects de Necrom, par exemple avec des bâtiments d'un blanc et austères, et certaines des formes là-bas. Le côté sombre est en quelque sorte représenté : nous devons explorer les aspects les plus sombres dans les donjons des catacombes qui se trouvent sous la ville, et le réseau en dessous est vaste et incroyable. Et nous nous plongeons dans les aspects les plus cérémoniels de cette culture. L'extérieur de la ville est en fait assez austère et révérencieux. Le recueillement, les honneurs aux défunts, ce genre de chose. Et puis sous la ville, il y a ces voûtes sous lesquelles on va pouvoir entrer pour arriver dans de nouveaux décors, extrêmement colorées en fait, très cérémonielles, presque “dévoués” dans leur apparence. Nous avons donc joué avec ce genre de dichotomie.
JOL : Chaque chapitre a ses événements mondiaux spécifiques. Quel est le but de ces événements ? Diriez-vous que c'est une façon de diversifier le gameplay ? Selon vous, qu'est-ce qui fonctionne bien avec ces événements ?
Rich Lambert : La première et la plus importante chose est que nous essayons de nous assurer qu'il y a des activités de groupe supplémentaires. Vous savez, TESO est un jeu auquel vous pouvez jouer complètement solo et participer à toutes les histoires. Et c'est super. Et il y a beaucoup de gens qui y jouent comme les jeux traditionnels Elder Scrolls, par eux-mêmes. Mais vraiment, là où la magie de ces jeux commence à se manifester, c'est lorsque vous commencez à interagir avec d'autres personnes et à jouer avec d'autres gens. Alors on essaie de trouver des excuses, en quelque sorte, pour amener les gens à se regrouper. C'est donc l'idée derrière les événements mondiaux, et ils fonctionnent vraiment bien. L'événement mondial de cette année se concentre sur vous sur la collecte de fragments qui permettront de faire une clé. Ensuite, vous pouvez utiliser cette clé pour invoquer un portail, puis vous faites un peu d'exploration de donjons, uniquement pour vous et votre groupe. Et nous avons un peu effrayé les ingénieurs lorsque nous leur avons présenté l'idée, parce que c'est une aventure d’une assez grande taille pour se lancer dans quelque chose comme ça. Mais oui, nous voulions nous concentrer sur ce genre d'activité de groupe.
JOL : Avec ce chapitre, vous ajoutez deux nouveaux Compagnons. Que pensez-vous de l’idée de laisser les joueurs concevoir leurs propres compagnons avec le créateur de personnages ?
Rich Lambert : Ce serait vraiment intéressant. Je ne sais pas comment on ferait la voix. Créer votre propre compagnon est super intéressant. Mais nous devons attribuer une voix et lui assigner une personnalité. Et puisque nous faisons cela, les joueurs ne peuvent pas nécessairement créer le leur. Nous leur donnons beaucoup d'opportunités de personnaliser les capacités, de choisir leurs rôles que ce soit tank, healer ou DPS. Mais les Compagnons en eux-mêmes, parce qu'ils sont pleinement doublés, doivent avoir une personnalité. Donc c'est la partie la plus difficile avec ça, mais je pense que c'est une idée vraiment cool.
JOL : J’ai une question concernant les outils d’intelligence artificielle, peut-être que ces outils pourraient aider à cela. Ma question est : utilisez-vous ce type d’outils, comme Midjourney ou ChatGPT ?
Rich Lambert : Certainement, particulièrement du côté artistique, pour des itérations très rapides.
CJ Grebb : Nous avons un ou deux artistes qui commencent à utiliser l'IA pour créer une collection conceptuelle initiale, avec un prompt très simple pour voir ce qui apparaît. À partir de là, on les met de côté parce qu'on ne peut pas utiliser ce genre d'art, évidemment. Nous devons donc le créer à partir de zéro après cela. Mais en tant qu'outils d'idéation, bien sûr, nous les utilisons.
JOL : TESO aura bientôt dix ans. Comment parvenez-vous à créer de nouvelles choses qui n’ont pas l’air d’avoir déjà été faites ?
Rich Lambert : Oui, c’est le problème ! C'est quelque chose dont nous parlons beaucoup quand nous proposons des histoires. Quelqu'un va avoir une idée géniale, et nous devons lui dire que nous avons déjà fait ça dans la zone X. Et on se rend compte que l’autre a raison. Ça devient effectivement plus dur. Vous savez, nous existerons depuis neuf en avril. Alors oui, ça devient plus difficile. Heureusement, la plupart de l'équipe est ensemble depuis longtemps, vous savez, cinq ou dix ans maintenant. Nous avons donc une assez bonne idée de ce qui se trouve dans le jeu. Mais c'est plus difficile, et il devient de plus en plus difficile d'ajouter de nouvelles fonctionnalités au jeu aussi. Certaines des décisions que nous avons prises en 2007, lorsque nous avons commencé à faire ce jeu, nous aimerions probablement les effacer et faire quelque chose de différent. Et nous retravaillons petit à petit la technologie pour améliorer les choses ici et là. Mais oui, c'est définitivement un défi. C'est certainement plus difficile maintenant. C'est un bon défi, cela dit ! C'est un super défi !
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